24.

« L’espoir s’éloigne de retrouver Leesey Andrews vivante. » Le Dr David Andrews lisait le flash qui se déroulait au bas de son écran de télévision. Il était assis sur le canapé de cuir du bureau de son fils, dans son appartement de Park Avenue. Incapable de dormir, il s’y était installé dès la première lueur du jour. Il avait sans doute sommeillé un moment, car peu après avoir entendu Gregg partir pour l’hôpital, il s’était retrouvé chaudement enveloppé dans une couverture.

À présent, trois heures plus tard, il était toujours à la même place, à moitié assoupi, regardant vaguement la télévision. Je devrais prendre une douche et m’habiller, se dit-il, mais il était trop las pour bouger. La pendule de la cheminée marquait dix heures moins le quart. Et je suis encore en pyjama, c’est ridicule. Ses yeux se fixèrent sur l’écran. Qu’avait-il vu à l’instant ? J’ai dû lire le flash car le son est coupé, observa-t-il.

Il chercha la télécommande qu’il se rappela avoir posée sur le coussin afin de pouvoir monter le son si on parlait de Leesey.

On était dimanche. Plus de cinq jours s’étaient écoulés. Que ressentait-il ? Rien. Ni peur, ni chagrin, ni cette colère meurtrière envers celui qui s’était emparé d’elle. En cet instant, à cette minute précise, il se sentait comme anesthésié.

Cela n’allait pas durer.

L’espoir s’éloigne. Avait-il lu ces mots sur le bandeau en bas de l’écran ? Ou les avait-il inventés ? Pourquoi lui semblaient-ils familiers ?

Une image de sa mère lui traversa soudain l’esprit. Elle jouait du piano à une réception familiale et tout le monde chantait en chœur. Ils avaient une prédilection pour les vieilles mélodies, se souvint-il. L’une d’elles commençait par « Chéri, je vieillis ».

Leesey ne vieillira jamais. Il ferma les yeux pour endiguer la vague de douleur qui l’envahissait. L’engourdissement s’était dissipé.

Chéri, je vieillis… Des fils d’argent parmi l’or… Brillent aujourd’hui sur mon front… La vie s’éloigne vite…

L’espoir s’éloigne… C’étaient les mots qui avaient évoqué cette chanson.

« Papa, ça va ? »

David Andrews leva les yeux et vit le visage inquiet de son fils. « Je ne t’ai pas entendu entrer, Gregg. » Il se frotta les yeux. « Savais-tu que la vie s’éloigne vite ? La vie de Leesey. » Il s’interrompit, se reprit. « Non, je me trompe. C’est l’espoir de la retrouver vivante qui s’éloigne. »

Gregg Andrews vint s’asseoir près de son père et passa un bras autour de ses épaules. « Mon espoir ne s’éloigne pas, papa.

– Vraiment ? Alors tu crois aux miracles. Pourquoi pas ? J’y ai cru moi-même à une époque.

– Continue à y croire, papa.

– Souviens-toi que ta mère semblait s’être si bien remise. Puis, en une nuit, tout a changé et nous l’avons perdue. C’est alors que j’ai cessé de croire aux miracles. »

David secoua la tête, s’efforçant de reprendre ses esprits, et tapota le genou de son fils. « Prends bien soin de toi, ne serait-ce que pour moi. Tu es tout ce que j’ai. » Il se leva. « J’ai l’impression de parler en rêve. Ne t’inquiète pas, Gregg, ça va aller. Je vais prendre une douche, m’habiller et rentrer chez moi. Je ne sers à rien ici. Avec ton emploi du temps à l’hôpital, tu as besoin de te reposer tranquillement, et il me sera plus facile de me ressaisir une fois à la maison. Je vais reprendre la routine en attendant de voir comment tournent les choses. »

Andrews examina son père d’un œil clinique, frappé par les cercles profonds sous ses yeux, l’expression morne de son regard, l’amaigrissement de son corps robuste. Il n’a rien avalé depuis qu’il a appris la disparition de Leesey, songea-t-il. D’un côté, il aurait voulu retenir son père, de l’autre il se rendait compte qu’il serait mieux à Greenwich où il travaillait bénévolement au service des urgences trois fois par semaine et où il était entouré d’amis.

« Je comprends, papa, dit-il enfin. Tu penses peut-être avoir abandonné tout espoir, mais je ne te crois pas.

– Crois-moi », répondit simplement son père.

Quarante minutes plus tard, il était habillé et prêt à partir. À la porte de l’appartement, les deux hommes s’embrassèrent. « Papa, tu sais que beaucoup de gens seraient heureux de dîner avec toi. Tu devrais les rejoindre ce soir au club, lui conseilla Gregg.

– Je n’irai peut-être pas ce soir, mais bientôt. »

Après le départ de son père, Gregg se sentit seul dans l’appartement. Nous avons tenté de nous faire mutuellement bonne figure, se dit-il. Je ferais mieux de suivre le conseil que je lui ai donné et de m’occuper. Un bon jogging dans Central Park suivi d’une sieste me remettra les idées en place. Il avait aussi l’intention de faire le trajet entre l’appartement de Leesey et le Woodshed à trois heures du matin, heure à laquelle la jeune fille était rentrée chez elle à pied. Peut-être trouverai-je quelqu’un à qui parler, espérait-il, quelqu’un à qui la police ne s’est pas intéressée. Des policiers en civil patrouillaient toute la nuit, lui avait dit l’inspecteur Barrott, mais le besoin de participer aux recherches était devenu une véritable obsession.

C’était impossible tant que son père était là, il aurait insisté pour l’accompagner.

Le jour s’était levé dans la grisaille, mais quand il sortit à onze heures, le soleil avait percé les nuages et Gregg sentit son moral remonter. Par une aussi belle matinée de printemps, sa petite sœur, sa jolie et joyeuse Leesey, ne pouvait pas les avoir quittés. Mais si elle n’était pas morte où était-elle ? Faites qu’elle ait eu un accès de dépression ou une crise d’amnésie, pria Gregg en parcourant à longues foulées les trois blocs qui le séparaient du parc. Une fois arrivé, il se dirigerait vers le nord et reviendrait en faisant le tour du restaurant le Boathouse.

Faites qu’on la retrouve, faites qu’on la retrouve, priait-il en cadence.

Une heure plus tard, fatigué mais un peu moins anxieux, il regagnait son appartement quand son téléphone portable sonna. Partagé entre l’espoir et la crainte, il sortit l’appareil de la poche de son blouson, l’ouvrit et vit que l’appel provenait de son père.

Les mots « Allô, papa » moururent sur ses lèvres tandis qu’il tendait désespérément l’oreille. Un sanglot lui parvint. Oh, mon Dieu, se dit-il, ils ont retrouvé son corps.

« Leesey, parvint à articuler David Andrews. Gregg, c’est Leesey. Elle a téléphoné !

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Elle a laissé un message sur le répondeur il y a moins de dix minutes. Je venais de rentrer. Je n’arrive pas à y croire. J’ai manqué son appel. »

À nouveau, Gregg entendit son père sangloter.

« Papa, qu’a-t-elle dit ? Où est-elle ? »

Les sanglots cessèrent. « Elle a dit… qu’elle… m’aimait mais qu’elle avait besoin d’être seule. Elle m’a demandé de lui pardonner. Elle a dit… elle a dit… qu’elle rappellerait le jour de la fête des Mères. »

Où es tu maintenant ?
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